NICOLAS WACKER (1897-1987) REGARDS CROISÉS JEAN BERTHOLLE, ROGER BISSIÈRE, VÉRA PAGAVA, GUIDETTE CARBONEL
Nicolas Wacker, personnalité de l’académie, lieu de vie pour lui, durant plus de dix ans, reste encore peu connu bien que des expositions récentes comme celle du Palais du Roi de Rome à Rambouillet, en 2010, aient porté un regard nouveau sur cet artiste qui avait toujours trouvé inadéquates les propositions d’expositions. Excès de modestie de la part de cet humaniste, théoricien de la technique dite mixte qui plaçait très haut son rôle de passeur, secondant Roger Bissière, puis enseignant les techniques de la peinture à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris entre 1969 et 1984 et auteur d’un livre sur les techniques de la peinture, toujours réédité.
Il avait quitté la Russie pour Berlin et incarnait le caractère pluridisciplinaire de l’académie. Il fut, dès son arrivée en 1928 et jusqu’en 1939, le massier de l’atelier de peinture. Un ensemble d’oeuvres de jeunesse, peu connues, ainsi que, d’autres de la maturité des artistes éclaire leur démarche commune, puis leur évolution, de part et d’autre de la coupure de la guerre. Elles illustrent la vie d’un atelier dans les années 30 : ses pratiques, sa modernité, l’esprit communautaire de ces artistes au début de leur parcours, préfigurant le langage nouveau dont ils seront les pionniers dans les années 50
Nicolas Wacker
L’exposition s’ouvre sur la rencontre de Nicolas Wacker avec Roger Bissière en 1928, à l’Académie Ranson lorsqu’il prend ses fonctions de massier de l’atelier de peinture. Stoppé par l’internement dans les camps pour étrangers, sa création ne reprendra qu’en 1962. Il poursuivra son art devenu non-figuratif, durant ses années d’enseignant à l’école des Beaux-Arts de Paris, entre 1969 et 1984 dans un dynamisme interactif avec ses étudiants. Ce qui se partage, pour lui, c’est la nécessité d’un art chargé d’humanisme, une capacité à transmettre – il sera l’un des professeurs les plus admirés par les jeunes peintres. Les amitiés vont se croiser tout au long de sa vie, comme l’attestent les œuvres de Jean Bertholle, Véra Pagava, Charlotte Henschel, Guidette Carbonell, présentées à l’occasion de l’exposition, certaines, exécutées côte à côte, tout au long des années 30. Son aventure artistique, relève à la fois d’une expérience ancrée dans ses origines slaves et la rencontre avec un certain idéal collectif tel qu’il existait encore dans l’entre-deux guerres.
DES FOYERS DE CRÉATIVITÉ INTENSE
Des communautés de peintres, sculpteurs, graveurs, se créaient dans le monde entier. Quelles soient le fait d’artistes fondateurs dont seuls l’histoire retiendra le nom, au détriment du groupe – comme les surréalistes avec André Breton, le Bauhaus avec Klee et Kandisky, les Ateliers de Torres-Garcia, l’Abbaye de Créteil et l’atelier communautaire de Moly-Sabata en Ardèche – deux rêves médiéviste d’Albert Gleizes, dans les années 20/30 – où bien, issues d’une école ou d’une académie privée dans lesquelles se forgeait un esprit fédérateur, elles furent un tournant pour nombre d’artistes, avec à leur tête, des pères spirituels, des autorités inspirées : Paul-Émile Borduas pour les Automatistes canadiens, ces anciens étudiants de la section Art et Design à l’École du meuble de Montréal où Roger Bissière, chef de l’atelier de peinture à l’académie Ranson. Lieu d’échanges et de partages d’expériences, les passerelles entre les ateliers déterminent les vocations : le suisse Stahly s’inscrit en 31, dans l’atelier de peinture, mais c’est avec Charles Malfray qu’il découvre sa vocation de sculpteur, inversement pour Jean Le Moal. C’est à l’académie Ranson dans l’atelier de peinture de Roger Bissière qui deviendra son ami et son plus fidèle soutien que Guidette Carbonell fera dialoguer les différentes disciplines étudiées dès l’âge de 15 ans dans les académies libres de la rive gauche. Attirée autant par la peinture que par la sculpture, elle dira : J’ai choisi d’être associée aux peintres de mon époque, et revendiquera sa pluridisciplinarité dans une volonté de synthèse des arts : céramique, textile, dessin, art mural
Nicolas Wacker : les Années Ranson : 1928 – 1939
La veuvue du fondateur de l’Académie : France Ranson, appelle en 1923, à la direction de l’atelier de peinture, Roger Bissière, connu depuis 1912 pour ses articles sur l’art et ses essais sur Seurat, Ingres et Corot, publiés dans la revue d’Ozenfant : l’Esprit Nouveau. Bissière initiera en 1934, un cours de fresques, non sans lien avec les Ateliers d’art sacré, fondés par Maurice Denis et Georges Desvalières au sortir de la grande-guerre. Un esprit de compagnonnage médiéval sur le modèle des grands chantiers collectifs et l’accent mis, dans les années 30, sur l’art roman comme modèle pour les arts plastiques, furent parmi les courants multiples qui trouvèrent un écho chez les jeunes peintres.
L’exposition des Arts et Techniques de 37, à laquelle Roger Bissière participe verra le triomphe de l’art mural. Ses élèves l’assistèrent sur ce grand chantier puis trois d’entre eux, dont Wacker, se rendirent, en 39, à New York participer aux travaux de décoration du pavillon français à l’exposition universelle.. Jean Le Moal, évoquant Wacker, écrit : Je le connus en 1935, alors que je venais de m’inscrire avec mon ami Alfred Manessier au cours de fresques de l’académie Ranson. Il dirigeait l’atelier de peinture et savait tout faire. Il connaissait tout et était vraiment un personnage extraordinaire. Par la suite nous avons travaillé ensemble avec toute une équipe dont il était un des membres les plus actifs : avec Bissière et Delaunay au Pavillon des Chemins de fer à l’exposition de 37. En collaboration avec mes amis Zelman et Bertholle nous avons réalisé la décoration du Pavillon français à l’exposition universelle de New-York en 1939 » . Les tissus imprimés exposés en 38 et 39 par l’artiste Véra Pagava, dans le cadre du ggroupeTémoignage (exécutés sur un métier à tisser fabriqué par Nicolas Wacker) témoignent du recours aux arts ruraux et primitifs, selon les conceptions de Bissière en concordance avec celles de Gleizes, proche du groupe et également chef de file d’une communauté artistique à Moly-Sabata, sur les rives du Rhône.
DE BELLES FRATERNIÉS : LE GROUPE TÉMOIGNAGE
Née d’un Idéal communautaire, cette formation expose, dès 37 et 38 sous le nom :Témoignage au Salon d’Automne de Lyon. L’aventure débute dès 1936, avec Étienne-Martin, Bissière, Bertholle, Le Moal, Manessier, auxquels se joignent Nicolas Wacker (36-37) et Charlotte Henschel….Le galeriste Marcel Michaud, l’un des inspirateurs du groupe Témoignage, figure du milieu artistique lyonnais des années 30 à 50, consigne, dans la revue lyonnaise : Le Poids du Monde, l’acte de naissance du groupe : « Des artistes jeunes, se rencontrent en un point du globe et joignent leurs cœurs à Lyon. De là naît le 22 décembre 36, un élan qui bondira dans l’art. Littérature, musique, poésie, peinture, sculpture. La vie quoi…(..) Pour ces artistes, leurs œuvres ne sont qu’un TÉMOIGNAGE sensible des angoisses et des départs vers un inconnuredoutable… (5) Le journaliste jean-Jacques Lerrant, qui dirigeait les pagesCulture du Progrès de Lyon, écrira : On ne pourrait guère justifier le rassemblement composite de Témoignage, où il y avait des ésotériques, des aventuriers mystiques, de jeunes hommes éclairés par les flambeaux du surréalisme, des héritiers du cubisme emblématique – témoignages, conjonction de courants divers avant les grandes vagues de l’abstraction – s’il n’y avait à la tête du cortège pour une unité provisoire de voyance, de recherches au-delà des apparences, un poète comme Marcel Michaud, titubant de doutes mais porteur de feu… Tendus vers l’avenir mais nullement radicalement destructeurs, ils cherchent une expression nouvelle à travers l’enseignement de Bissière, issu du cubisme et du surréalisme. En 38 et 39, le galeristeRené Breteau en assure le développement parisien ; Je leur ai donné mes cimaises pour d’inoubliables succès. La rue des Cannettes a connu la foule en 38, la rue Bonaparte en 39. Puis ce fut la guerre et le dispersement
TÉMOIGNAGE : GALERIE BRETEAU, PARIS
René Breteau, dont la galerie, rue des Canettes, ouverte en 37 présentait des travaux d’artisans, racontera plus tard le choc de la rencontre du groupe, dans l’atelier d’Etienne-Martin, rue du Pot-de-Fer. Avec le fils du potier Beyer, nous sommes partis de la rue des Canettes pour la rue du Pot-de-Fer. (..) cinq garçons attendaient, sereins, ils m’ont dit leur joie de créer, leurs espoirs. Cela dura longtemps de parler et de regarder tant de choses si étonnantes, si étranges, Au petit matin, j’ai dit que nous allions montrer ce qu’ils avaient fait, lagalerie Matières et Formes venait de voir le jour Installée l’année suivante, rue Bonaparte, la galerie jouera un rôle considérable dans la vie artistique parisienne. Les vernissages sont des fêtes dans l’esprit bohème de l’après-guerre. René Breteau anticipe les performances en ouvrant son espace au théâtre : Les Mamelles de Tirésias en hommage à Apollinaire ou à la danse des Ballets Hans Weidt pour la seconde exposition Témoignageen 39. *La « performance » de février 1939 à la galerie Breteau sera l’une des dernières manifestations de Hans Weidt, surnommé, avant la guerre, le « danseur rouge » En 1946, Jean Weidt revient à Paris pour fonder les « Ballets des Arts ». avec de jeunes danseurs, dont Françoise Michaud – fille de Marcel Michaud.
CUBISME, SURRÉALISME, ÉSOTÉRISME, ONIRISME, PRIMITIVISME …DIVERSITÉ DE COURANTS ARTISTIQUES – EXPRESSION D’UNE ÉPOQUE
Cosmopolite et indépendante, l’académie Ranson permet d’échapper à l’art officiel, c’est un partage d’influences : post-cubisme, surréalisme, primitivisme conjuguées à l’apprentissage des techniques. Nicolas Wacker, Jean Le Moal, Manessier, Jean Bertholle, Charlotte Henschel et Véra Pagava explorent un cubisme inspiré de Picasso et de Braque dont Bissière était proche depuis 1917. Ils furent marqués par Guernica, devant lequel ils passaient chaque matin, alors qu’ils assistaient Bissière, Robert Delaunay et l’architecte Félix Aublet au Pavillon des Chemins de fer de l’Exposition Internationale de 37. Dans le même temps, l’inquiétude annonciatrices du conflit à venir favorisent les tendances ésotériques. Religiosité, théosophie, occultisme : une quête de spiritualité, non sans parenté avec celle des Nabis, s’incarne en visions d’apocalypse : œil, spirale, astres, mais aussi chrétiennes : jugement dernier, tour de Babel…. . Après ses compositions cubistes, Nicolas Wacker adopte une figuration dépouillée, onirique et donne à ses figures un caractère énigmatique. « Peinture figurative certes mais peu descriptive : le modèle est placé dan un décor réduit, rideau, table ou mandoline, .. ou inspiré par la vue, au Louvre des intérieurs hollandais Ses figures au regard intériorisé, dans un halo de mystère, sont soulignées par la lumière évanescente de ses blancs et le caractère moiré de ses bleus et gris.